• La Faucheuse - CN

    Celui qui ne sait pas ce que c’est que la vie, comment saura-t-il ce que c’est que la mort ? Confucius.

     

    Le tonnerre gronde au loin. Il se rapproche, je le sens. Je le sais. Un frisson électrique se promène le long de ma colonne vertébrale, ondulant, dansant comme un serpent au venin mortel. Je le sens comme si je pouvais le toucher, le voir, et en tendant la main devant moi, j’ai l’impression qu’il est là, ce petit reptile luisant, tournant autour de mes doigts à mesure que je les bouge. Puis il remonte sur mon poignet, jusqu’au creux de mon coude, et tout le long de mon bras, laissant dans son sillage une multitude de frissons, mordillant ma peau comme pour me défier de le secouer et de le chasser hors de moi. Je serre les dents, j’inspire profondément, et le laisse se réfugier derrière mon épaule où il se perd sous une masse de cheveux blonds.

    Un flash de lumière éclaire furtivement le ciel nocturne. Je compte jusqu’à six avant que le tonnerre ne résonne au loin. Je regarde par la fenêtre, contemple un instant les nuages noirs qui stagnent au-dessus de la ville, la lune qui peine à transmettre la lueur de ses rayons à la nuit, le vent qui secoue les branches des platanes comme s’il voulait les leur arracher. Un froissement de tissu attire mon attention. Juste devant moi, endormie sur son lit, Emilie Posset. Vingt-trois ans, dernière année en fac de droit, passionnée des Rois de France et travailleuse obstinée. Trop obstinée. Des boîtes du même médicament s’empilent sur sa table de nuit. Troubles du sommeil, stress, grosses fatigues, maux de tête, crampes à l’estomac et à l’intestin... Cette pauvre fille était à bout, éreintée par ses cours et par sa situation familiale – un bourreau à la place d’une mère et une ombre absente à la place d’un père. Ses cheveux sont comme le reflet de son âme : ternes, rêches, emmêlés, abandonnés à une coupe au carré et à une queue de cheval fait à la va-vite.

     Je ne peux m’empêcher de sourire en pensant à un vilain jeu de mots qui ferait un excellent titre sur les journaux de demain. « Elle s’est tué au travail ». Marrant, non ? C’est ainsi qu’ils verront son départ après tout. Surdose de médicament, surcharge de travail et psychologique. Qui penserait qu’elle est morte uniquement parce que son nom était sur ma liste ?

     et lève ma faux au-dessus de ma tête. Je détourne le regard, juste un instant, contemplant une dernière fois le ciel automnal. La pluie tombe averse à présent, et la lune a fini par se faufiler entre les nuages pour éclairer la nuit de ses rayons blancs. Je peux presque voir leurs reflets dans les milliards de gouttes d’eau qui tombent.

    La Liste se matérialise, doucement, fibre par fibre, dans le creux de ma main. Trois noms y sont inscrits – pas avec de l’encre, non, avec la poussière des nuages – dans une écriture souple et fluide, scintillants comme si des minuscules lucioles se cachaient entre chaque lettre. Tout en haut, il y a celui d’Emilie Posset. Mais il n’y reste plus pour très longtemps. Déjà, les bords de son nom s’effritent et le creux des traits se consument. Le temps d’une respiration et il a disparu.

    Pour beaucoup, la mort n’est qu’une étape, pour certains, c’est un don, et pour d’autres, c’est une fatalité. Moi ? C’est ce pour quoi je suis née.

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