• Une inspiration en passant p.2 - CN

    La sonnerie retentit comme une libération. Ses affaires volèrent jusque dans le fond de son sac en un mouvement de bras alors qu’il se levait précipitamment de la chaise pour quitter cette salle de torture – et accessoirement, salle de cours. Enfin !! C’en était fini des fonctions mathématiques et de leurs dérivées, composées et tout le tralala ! Même l’air du couloir semblait être différent de celui qui s’entassait dans la salle de maths, emplie de chiffres, de « plus l’infini » et d’inconnus X ou Y. 

    Oui, il était fâché avec les maths. Mais genre vraiment très très fâché, avec une moyenne avoisinant le trois pointé et une appréciation carrément désespérée. Bah ! On ne peut pas être bon partout. Il était un As du volant, il ne pouvait pas aussi être un génie des mathématiques. En y réfléchissant, l’excuse était un peu pittoresque, mais bref passons. 

    Il se dirigea à la hâte vers le hall du collège-lycée Frédéric Mistral, peut-être la seule partie de l’établissement qui ne faisait pas vieux et décrépi, avec son haut plafond, ses grands piliers ronds et ses baies vitrées en guise de mur. Là, patientant à côté de la borne de réservation des repas, alors que la pièce se vidait de plus en plus, il consulta son portable. L’écran indiquait un nouveau message de « Mon Ange », reçu deux heures avant. C’était sa petite-amie, Coralie, qui précisait qu’elle avait un devoir sur table de biologie et qu’elle sortirait sûrement un peu en retard. Il ne lui répondit pas de peur de la déconcentrer pendant qu’elle terminait son interro. 

    « Pas de soucis, p’tit ange, courage ! », pensa-t-il en rangeant son portable dans la poche de son jean.

    Son père devait déjà être là, garé le long du bâtiment Est, mais tant pis il attendra. Il serait prêt à attendre la nuit des temps si à la fin il pouvait revoir Coralie, avec ses grands yeux marron et ses magnifiques cheveux couleur cendre.

    Il commençait à divaguer sur elle quand il entendit une voix familière et cristallin.

    Tommy !!

    Il se retourna à l’annonce de son prénom et découvrit le petit minet souriant de sa petite copine, qui tendait bras et lèvres pour recevoir un câlin et le baiser qui allait avec, comme à chaque fois qu’ils se retrouvaient. Il ne se fit bien sûr pas prier et la souleva dans ses bras en l’embrassant.

    - Alors, comment ça s’est passé ? demanda-t-il après l’avoir reposé.

    - Un devoir monstre pour un temps minime. Total : entorse du poignet et peut-être même du cerveau ! plaisanta-t-elle en frottant son poignet droit.

    Il faudrait déjà que tu en ais un, de cerveau…, se moqua-t-il alors qu’elle lui assénait déjà des coups sur l’épaule avec ses petits poings minuscules. Allez, mon père nous attend.

    Il l’entraina dehors, saluant au passage un camarade de classe, et ils rejoignirent le père du garçon dans sa Citroën C4 noire. Tommy prit place derrière le volant et laissa Coralie monter derrière lui. Cela faisait maintenant plus d’un an qu’il faisait de la conduite accompagnée, et forcément, avec un père qui rêve de voiture de sport, l’adolescent avait vite appris à conduire comme un dieu. Bon, peut-être était-ce exagéré, mais il était plutôt doué. Rouler était presque devenu une passion ; la vitesse, l’adrénaline, il n’aurait pas pu s’en passer. Une passion que son père lui avait transmise sans le vouloir, avec sa maitrise des virages au frein-à-main.

    C’est pourquoi, tous les soirs après les cours, depuis que son père avait changé de boulot – l’ancien étant « rempli d’incompétents » disait-il – et qu’il finissait assez tôt pour arriver à la fermeture du lycée, Tommy raccompagnait sa petite-amie chez elle avant de rejoindre son propre foyer.

     

    Ce soir-là, les routes n’étaient pas très bondées comparé à d’habitude, où il fallait un quart d’heure pour sortir des remparts qui entouraient la ville bien que le lycée n’en fut même pas à un kilomètre. Le jeune garçon pouvait donc rouler tranquillement – ou plutôt « comme il le souhaitait ».

    Ils traversèrent le grand pont pour rejoindre la nationale qui reliait le Gard au Vaucluse. Tommy avait souvent emprunté cette route, aussi, il y fit moins attention qu’il n’aurait dû. Il préférait contempler Coralie dans le rétroviseur. La nuit était tombée en cette fin de saison automnale, et hormis les quelques lampadaires de la ville qui longeait la nationale, seule la Lune éclairait l’extérieur. Les reflets de l’astre sur la joue de Coralie lui donnaient l’impression qu’elle avait une peau en porcelaine, d’une blancheur immaculée. Un petit rayon se glissait dans son œil marron – celui côté fenêtre – et le faisait briller comme si c’était une source de lumière. Derrière elle, une voiture envoyait ses phares jaunes sur le parebrise, formant un halo doré tout autour de la jeune fille. Un ange. Voilà ce qu’elle était, ni plus ni moins : un ange descendu sur Terre dans toute sa splendeur pour prendre soin du cœur de Tommy.

    Enfin, c’était l’impression qu’il avait.

    Mais avec sa douceur et son rire enfantin, que pouvait-elle être d’autre ? Une déesse, oui, pourquoi pas, il y avait songé aussi. La réincarnation d’Aphrodite, ou la déesse de la beauté et de l’amour, et du rire le plus mignon de tout l’Univers. Ah ! Quel rire ! Tommy serait capable de l’enregistrer pour pouvoir l’entendre à tout moment. C’était pire qu’une drogue !

    Coralie trouva son regard dans le rétro, et sourit en comprenant qu’il n’arrêtait pas de lui jeter des coups d’œil. Ses joues se tintèrent de rouge, et malheureusement pour elle, Tommy le vit grâce aux lumières de l’extérieur. Il ne put alors se retenir de sourire, si bien que même son père le remarqua.

    - Tommy…, commença-t-il sur un ton de reproche, regarde la route je te prie.

    Les deux amoureux pouffèrent et le garçon obtempéra, non sans jeter un dernier regard dans le rétroviseur.

     

    Après un dernier baiser, les deux amoureux se quittèrent et Tommy reprit place au volant de la C4. Allumant la radio, insérant le CD du dernier album de Simple Plan dans la fente prévue et choisissant la première piste à écouter, il démarra – un peu trop vite – et prit la direction de la maison.

    Son père lui parla de sa journée, racontant comment il avait réussi l’exploit de ranger son bureau alors qu’on n’y voyait plus le bois depuis des semaines à cause de la masse de papier qui l’étouffait. Il faut dire que ce n’était pas quelqu’un qui rangeait. C’était toujours la mère de Tommy qui passait derrière lui pour remettre en place tout ce qu’il dérangeait, et elle le surnommait d’ailleurs son « grand bébé » puisqu’il se conduisait comme un enfant de cinq ans.

    Le sujet de conversation bifurqua alors sur la journée du garçon. Il avait eu une journée longue mais légère, vu que le cours de philosophie s’était résumé en deux heures de film sur le conflit entre trois religions et qu’il en était de même pour l’heure d’anglais. C’était vraiment l’heure de mathématiques, de torture, qui l’avait achevé. Mais il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit. Il fut soudain pris d’assaut par une crampe à la poitrine. Gémissant de douleur, il se plia en portant une main à son cœur. Sa deuxième main s’efforçait de garder le volant le plus droit possible pour rester sur la route, mais la douleur était si forte que la voiture zigzagua entre les deux voies. Son père réagit immédiatement. Il écrasa son point sur le bouton triangulaire rouge du tableau de bord pour allumer les warnings et  attrapa le volant du mieux qu’il put pour redresser la voiture. Les pneus crissèrent sur la route jusqu’à rencontrer le trottoir pour s’immobiliser en travers. Haletant, Tommy serrait ses deux mains contre lui le plus fort qu’il pouvait, comme si ce geste pouvait mettre fin à la douleur.

    - Tu veux ouvrir la fenêtre ? Prendre l’air, une ambulance ? Dis-moi quelque chose à la fin !

    Il ne l’entendait pas. Ses mots ressemblaient aux murmures du vent qui dansait entre les arbres de la forêt derrière sa maison, des sons tellement opaques qu’il n’aurait su dire si son père criait ou mimait simplement le mouvement d’une discussion acharnée. Sa tête résonnait comme si on y tambourinait sur la grosse caisse d’une batterie. Ou peut-être était-ce les battements affolés de son cœur qui remontait jusque sous son crâne.

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