- Non ! Enfin si ! Je veux dire que tu es…Sportive ? Euh…Endurante ?

Je secouai vivement la tête alors que des images impliquant des qualités sportives m'envahissaient le cerveau. En pleine confusion, je repris en parlant très vite :

- Je veux dire que tu travailles bien et que tu sais obéir aux ordres !

Elle me regarda avec de grands yeux surpris, et je lui rendis son regard, étonné de mes propres mots. Je m’attendis à ce qu’elle me rit au nez, mais elle se contenta d’acquiescer silencieusement. Comme un crétin d’adolescent pré-pubère, je sentis mes joues s'échauffer. Quel crétin ! Je soufflai bruyamment comme si j’étais énervé et me détournai d'elle en marmonnant que je serais à l’atelier. Qu’est-ce que je pouvais dire d’autre ? Qu’elle était belle à se crever les yeux ? Non mais quel idiot ! Je levais les yeux au ciel, désespéré par moi-même, et marchai d'un pas décidé vers le dépôt d'armes.

Avec une lenteur calculée, il abaissa ses lunettes aux verres teintés. Ce fut comme si j'étais frappé par la foudre. Ses yeux, n'en étaient pas. Ni iris, ni pupille. Juste un vide immense et infini, illuminé de l'intérieur par un million d'étoiles. Incapable de résister, comme attiré dans le trou noir de son regard, je ne pus que fixer l'immensité de ce qu'il reflétait. Je jurerai qu'un train me passait sur le corps tellement j'avais mal. Ma tête était prise dans un étau de fer, broyée par une telle force que je ne pouvais même plus hurler ma douleur. A cet instant, j'aurais pu supplier pour qu'on m'achève. Pourtant, j'étais incapable de détourner les yeux. L'Univers est si vaste...

Le Directeur remis ses lunettes et je tombai à genoux devant lui. Mon cœur battait si fort que j'aurai pu le voir bouger à travers ma poitrine, si seulement j'avais pu esquisser le moindre mouvement. La respiration hachée, je transpirai à grosses gouttes, luttant pour survivre à ce tourbillon de puissance incommensurable. En levant lentement la tête, la nausée me prit mais je parviens à retenir mon haut-le-cœur, l'estomac et la gorge déchirés par l'effort. Le Directeur - ou quoi qu'il puisse être - me regardait avec cet air grave qu'il arborait tout le temps. D'une voix qui me sembla vieille d'un millénaire, si lointaine et inaccessible, il dit doucement :

- Maintenant, tu comprends.

Parfois, je me demande pourquoi je fais ce job. Je ne me sens jamais aussi inutile que dans ces moments là... J'ai cru que d'être un des meilleurs de ma promotion, que de toujours repousser les limites, que de travailler jours et nuits pour la cause, m'éviterait de connaître des instants comme celui-ci. A quoi me sert ma force si je ne peux même pas sauver ceux qui comptent pour moi ? A quoi rime tout cela, toute cette mascarade de grande famille unie pour combattre le mal ? Quel est le vrai but de tout cela ? Parce que ce soir... Ce soir, la Guilde est en deuil. Ce soir, un membre de notre famille est mort. N'ai-je donc pas assez travaillé ? Je suis si impuissant... Je n'ai rien gagné ce soir-là. J'ai bel et bien perdu. La mort de cinq démons est un piètre lot de consolation. Ce soir, j'ai échoué non seulement en tant que professeur, en tant que soldat, mais aussi en tant qu'homme. J'ai perdu. Je l'ai perdu.  

Tu m'as demandé ce que j'avais. Je t'ai répondu que je ne voulais pas te laisser seul. J'ai peur de rentrer. Je veux le voir, je veux le serrer dans mes bras, je l'aime. Je veux l'aimer.

J'ai dormi avec toi, je t'ai laissé me prendre dans tes bras, je t'ai laissé m'embrasser. Je ne t'ai rien donné en retour, mais je ne t'ai pas complètement repoussé. Est-ce que je me sens coupable ? Quel est ce sentiment désagréable d'avoir fait quelque chose de mal ? Je sais que je ne t'aime pas. Pas comme je l'aime lui. Du moins, pas comme je pense l'aimer. Mais, sans m'en rendre compte, tu as réussi à prendre sa place. Physiquement. Tu es son opposé, lui est plus grand et plus fort, toi tu es plus fin et plus petit. Mais j'ai juste fermé les yeux et je me suis laissée aller contre toi, m'endormant doucement dans ta chaleur et la douceur de tes caresses. Est-ce que cela fait de moi une traîtresse ? Je ne te laisserai jamais aller plus loin, je ne te donnerai jamais accès à ce que tu veux. Mais est-ce que le peu que je t'ai accordé n'est pas déjà trop ?

Je me suis demandé pourquoi je rentrai. Qu'est-ce que je suis venue retrouver…?

J'espère, je prie, pour que lorsque je croiserai son regard, je sache. Que je sache pourquoi je suis tombée amoureuse de lui et pourquoi il m'a choisie.

 Oui, je veux le voir. Je veux le sentir, son odeur, sa peau, je veux le serrer contre moi, je veux être rassurée par son cœur qui bat contre le mien, je veux plonger dans le bleu de ses yeux, je veux qu'il m'entoure de sa chaleur. Je veux le savoir là, physiquement, je veux qu'il reprenne sa place.

"Tu dois reprendre ta place. Revendiques ton bien. Revendiques moi ! Je t'en prie… Je t'aime tellement… Je me rends compte à quel point tu me manques. Je t'avais oublié. Je suis devenue faible... J'ai osé te mettre dans un coin, en stand-by. Je me suis éloignée de toi… Mais je me réveille enfin, je me gifle pour en être sûre... Alors... Ne pars pas ! Je suis là, je suis revenue ! Attends-moi…Pardonne-moi... Je t'aime !"

L'amour n'est pas l'amour, s'il fane lorsque son objet s'éloigne. Quand la vie devient dure. Quand les choses changent. Le vrai amour reste inchangé.

C'est un phare érigé pour toujours qui voit les ouragans sans jamais en trembler. L'amour ne change pas au fil des courtes heures et courtes semaines, mais il perdure jusqu'au seuil du jugement dernier.

"Le mal a une expression." Genre "tremble donc humain, ou tu finiras en pot-au-feu !"